Les mécanismes de la Volonté, vu par les philosophes

Qu’est ce que vouloir ?              Qu’est-ce que vouloir agir ?

 

Plusieurs philosophes et spécialistes se sont penchés sur la question depuis plusieurs siècles, à commencer par Aristote (+/- 400 ans avant JC).

Tout au long de notre siècle, de nouvelles recherches et théories se sont développées encore. Avec l’évolution des sociétés, la volonté de comprendre l’individu et ce qui le compose, y compris l’inter-relation entre le cerveau et le physique, sa sphère sociale, son héritage culturel, ont conduit les spécialistes à essayer de comprendre les mécanismes qui régissent la volonté.

La notion de volonté, selon Joëlle Proust[1], a, dans la philosophie une grande antiquité. Dans la période classique le dualisme du corps et de l’esprit s’est imposé. C’est la conception d’un esprit commandant le corps que l’on retrouve dans la doctrine d’un Descartes. Là, c’est l’idée qui avait le rôle de cause de l’action. Aujourd’hui, du fait de l’apport contemporain des neurosciences, de la psychologie et de ce que l’on appelle, en terme moderne, « la philosophie de l’esprit » la conception que l’on peut se faire de la volonté est bouleversée. C’est la notion de « volition » qui nous intéresse ici.

Joëlle Proust nous explique que la volonté est liée, d’une part, à un mécanisme de décision.

  • La liberté d’agir
  • La mise en action de cette volonté

et d’autre part, elle met en évidence les phases différentes de l’action (volontaire) qui seraient soumis à la notion d’impulsion, de contrôle, d’orientation et de correction de ladite action (voulue).

La liberté d’action sous-entend donc une décision propre: on agit librement et sans contrainte externe.

Des examens cliniques ont démontré que chez un individu qui se prépare à agir, son cerveau produit deux types d’ondes différentes :

  • La première onde est précoce. Elle correspond à une préparation motrice de la décision d’agir. C’est-à-dire que l’intention est là mais l’action n’est pas encore générée. Parfois, quelques millisecondes à peine séparent ces deux ondes (comme décider de boire son verre : le cerveau projette l’idée ensuite seulement les mains portent le verre à la bouche, et cela en l’espace de quelques secondes).

Ici le cortex moteur (qui commande les membres) est activé.

  • La deuxième onde est celle qui génère l’action. Après que le cortrex moteur se soit activé, cette activation se propage en direction des effecteurs par l’intermédiaire des motoneurones situés dans le tronc cérébral et la moelle épinière.

Le cerveau agit donc en deux temps.

Selon Patrick Haggard[2], il y a entre ces deux événements « une force d’attraction réciproque » ou encore un « liage intentionnel ». Pour qu’il y ait liage, il faut que l’intention du sujet ait vraiment causé l’exécution de l’action. La conscience d’agir joue bien un rôle causal dans le processus de l’agir.

Selon Jean-François Dortier[3] et Catherine Halpern[4], philosophes et psychologues, la question se pose quant au degré de liberté ou degré de contrainte dans l’action. Comment les individus pilotent leur vie, qu’il s’agisse d’actes simples comme marcher ou se saisir d’un objet, ou de pratiques sociales plus complexes comme exercer son métier…

En examinant l’agir sous l’angle des normes sociales ou à partir des causes cérébrales, il convient dans tous les cas de redéfinir cette liberté pour en comprendre le sens et les limites.

Aristote[5], philosophe ayant vécu environ 400 ans avant JC, décrivait les mouvements chez les animaux comme un degré supérieur d’agir : l’action volontaire, qui procède, non de la simple influence du milieu sur l’agent, mais de la perception par l’agent d’un but à atteindre (se procurer un avantage, éviter un dommage). Il décrit l’homme comme un type d’agent particulier, capable non seulement d’action volontaire, mais d’action délibérée, c’est-à-dire procédant d’un choix rationnel.

Il soulignait cette notion de choix rationnel dans l’intention d’agir chez l’homme, et s’est beaucoup penché sur la question de l’âme, comme nous l’expose le site français ‘les.philosophes.fr‘ :

« Comment caractériser ontologiquement l’âme ? Celle-ci est-elle une substance, une qualité, une quantité, ou encore une autre catégorie ? Est-elle en puissance ou en entéléchie ? Divisible ou indivisible, sans partie ? Peut-on dire que l’âme du cheval est la même que celle de l’homme, ou chaque espèce a-t-elle un genre d’âme différent ? »

Pour Vincent Descombes[6], l’autonomie du sujet n’est pas à chercher dans la neurologie, mais dans l’environnement humain qui donne sens à l’action. Les règles et les institutions, loin de limiter l’action, constituent au contraire sa possibilité. Dans son ouvrage, Le Complément de sujet (Gallimard, 2004), le philosophe propose de considérer une passionnante réflexion sur l’autonomie, non comme l’apanage d’un individu abstrait, mais comme une conquête, toujours fragile et difficile, à travers un apprentissage que rend possible l’appartenance de l’agent à un monde social.

 

La volition : l’effet d’une cause mentale sur l’action

Tandis que certains philosophes appuient la cause mentale sur l’action elle-même, d’autres ne sont pas d’accord avec ce principe.

« Ce n’est pas une affaire de volition ; ce n’est pas une affaire de vécu conscient qui s’ajouterait à l’événement extérieur. C’est une affaire de pouvoir. Le changement volontaire est celui que je peux produire ou empêcher. »

En gros, explique Ludwig Wittgenstein[7],les actions volontaires sont celles que l’on peut commander :

« Il arrive, bien entendu, qu’un agent soit dessaisi de son pouvoir de contrôler ses mouvements. Je ne peux pas toujours faire ce que je veux. Parfois mes forces m’abandonnent. La nature, pourrait-on dire, refuse de seconder mes désirs. D’où l’intérêt d’une enquête physiologique et neurologique sur la volonté. »

Elizabeth Anscombe[8], quant à elle, situe la volonté dans un contexte social extérieur : son analyse invite à concevoir l’agent humain comme un sujet qui raisonne, qui délibère, pour résoudre un problème pratique. C’est quelqu’un qui a des intérêts et des objectifs, c’est-à-dire un être vivant, inséré dans un milieu qui offre à la fois des résistances et des prises à son action. Un tel agent est rationnel dès lors que, ayant un certain but, et disposant de certaines informations sur le monde, il tire correctement son plan d’action.

Elle soutient que les intentions ne précèdent pas les actions comme une cause précède l’effet, mais qu’elles seraient plutôt ce qui en exprimeraient les raisons. Aussi peut-elle affirmer qu’« en gros, l’intention d’un homme, c’est son action ».

 

Quels impacts les règles sociales ont-elles ?

Elizabeth Anscombe explique que les rituels appartenant à une société ont un rôle important. Il y a toujours des règles, et toute société doit faire face à la nécessité d’inventer ses règles. L’invention personnelle, l’impératif d’être l’artiste de sa propre vie, a forcément des limites.

Comme le mentionne Roland Barthes[9], dans sa fameuse phrase : « La langue est fasciste », puisque je ne suis pas libre d’avoir mon propre idiome. Un propos qui a fait scandale, puisqu’il est estimé qu’il confond la réalité redoutable du fascisme avec le simple fait que je dois, pour me faire comprendre, parler la langue de tout le monde. Pour R. Barthes, c’est bien une limitation par le conformisme social.

Mais les règles sociétaires sont décrites par les philosophes comme un mal pour un bien.  En effet, disent-ils, les règles les plus fondamentales sont plutôt celles qui permettent de faire des choses, comme les règles du jeu d’échecs permettent de jouer aux échecs. Ce sont des règles qui créent des possibilités d’action. Par exemple, les règles du droit rendent possibles des actions comme se marier, acheter une maison, léguer ses biens, etc. Ce sont les règles qui créent ces possibilités. Elles ne sont donc ni des commandements, ni des interdits. La fonction des règles, comme dit Marcel Mauss[10], est de créer un système d’attentes collectives. Elles ne sont pas une limitation de possibilités, mais une dotation de capacités.

 

Les philosophes ne sont pas d’accord sur les diverses théories …

Au-delà de William James[11], dont la théorie sur l’émotion allait à contre-courant des idées de son époque : Ce n’est plus l’état mental qui est la condition de l’état physique (par exemple j’ai peur donc je tremble) mais la séquence inverse (je tremble donc j’ai peur – Théorie dite de James-Lange), L. Wittgenstein vise en réalité toute une tradition intellectuelle, remontant à René Descartes[12] et à John Locke[13], qui conçoit l’action volontaire comme l’effet d’une action intérieure (la « volition »). Le paradoxe d’une telle conception est de devoir faire de cette action intérieure, mentale, une action elle-même volontaire (sinon, son effet ne le serait pas non plus), et donc d’engager une régression à l’infini.

Aux yeux de L. Wittgenstein, il faut donc renoncer totalement à se représenter l’action volontaire comme l’effet d’une cause mentale.
Selon lui, sa théorie est simplement une invitation  à tourner le dos aux conceptions causalistes et volitionistes de l’action. Les objections wittgensteiniennes, rejoignant celles que formulait déjà Gilbert Ryle[14] contre l’idée de volition.

Ryle, dans son livre « La Notion d’esprit », 1949 s’est évertué à démontrer l’absurdité de l’approche classique du problème de la relation entre le corps et l’esprit : « Nous  ne pensons pas dans notre tête », soutenait-il.  Tout comme, par exemple, agir intelligemment ne consiste pas à faire deux choses, une mentale et une autre physique ; c’est agir de façon efficace dans une situation complexe. De même, connaître sa table de multiplication est avant tout savoir la réciter ou l’utiliser.

Les théories contemporaines de la volition s’efforcent désormais de montrer que la causalité mentale ne fait pas l’unanimité dans sa relation avec le corps et ses effets sur les objectifs.

Pour en savoir plus sur les philosophes énoncés ici, cliquez sur les liens ci-dessous :

 

[[1] ]  Joëlle Proust est philosophe et directrice de recherche au CNRS, et aussi auteure de « La Nature de la volonté » (Gallimard)

[[2] ]  Patrick Haggard est professeur en neurosciences cognitives à l’University College de Londres (UCL) et directeur du groupe de recherche à l’Institute of Cognitive Neuroscience de l’UCL

[[3] ]  Jean-François Dortier est fondateur et directeur de la publication du magazine Sciences humaines. Il est également éditeur des éditions Sciences Humaines et du magazine Le Cercle Psy, média en ligne et revue trimestrielle de vulgarisation de la recherche en psychologie.

[[4] ]   Catherine Halpern est journaliste à Sciences Humaines. Philosophe de formation.

[[5] ]   Aristote, célèbre philosophe grec, fut l’élève de Platon à l’égard de qui il a, par la suite, été critique. Il a ainsi apporté quelques commentaires négatifs à son œuvre en critiquant certains thèmes comme ce fut le cas pour la théorie des idées.

[[6] ]   Vincent Descombes est un philosophe français, spécialiste de philosophie de l’esprit, de philosophie du langage et de philosophie de l’action. Directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, où il est membre du CRPRA, il est aussi membre associé de l’Institut Jean-Nicod.

[[7] ]   Ludwig Josef Johann Wittgenstein, philosophe et mathématicien autrichien, puis britannique, apporta des contributions décisives en logique, dans la théorie des fondements des mathématiques et en philosophie du langage.

[[8] ]   Gertrude Elizabeth Margaret Anscombe est une philosophe et théologienne anglaise, élève de Wittgenstein. Elle apporta d’importantes contributions en éthique, en philosophie de l’esprit, en philosophie de l’action, logique, sémiotique, et philosophie du langage.

[[9] ]   Roland Barthes, sémiologue, essayiste, a élaboré une pensée critique singulière, en constant dialogue avec la pluralité des discours théoriques et des mouvements intellectuels de son époque, tout en dénonçant le pouvoir de tout langage institué.

[[10] ]   Marcel Mauss, mort en 1950, fut le père de l’ethnographie française ; il a exercé une influence profonde sur les sciences sociales et humaines et a écrit de très nombreux ouvrages.

[[11] ]   William James est un psychologue et philosophe américain, fils d’Henry James Sr., le disciple de Swedenborg, et frère aîné d’Henry James, romancier célèbre. James est un des membres les plus éminents de la génération de penseurs qui ont contribué à donner à la pensée américaine sa propre tonalité.

[[12] ]   René Descartes a fondé la philosophie moderne, ou philosophie rationaliste, laquelle aboutira à la découverte du cogito, de la conscience réflexive.

[[13] ]   John Locke  est un philosophe anglais du 17ème siècle qui s’intéresse à la pensée de Descartes. Il voyage d’ailleurs en France et rencontre les esprits les plus brillants de l’époque.

[[14] ]   Gilbert Ryle, philosophe anglais né à Brighton, est l’un des plus grands représentants de l’école philosophique d’Oxford. Il est surtout connu pour son œuvre majeure, The Concept of Mind publiée en 1949.

 



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